Forts de l’impact de Star Wars dans la culture populaire occidentale, de nombreux pays ayant accueilli les tournages se trouvent confrontés à la question du «comment gérer l’après ?». Si certains offices de tourisme ou entreprises privées surfent sur l’occasion pour promouvoir leur territoire, d’autres, au contraire, peuvent craindre l’afflux de fans sur des lieux qui ne s’y prêtent pas toujours. Il existe aussi certaines initiatives de fans locaux qui perpétuent le lieu pour s’y rassembler, comme pour pérenniser un lieu sacré, un pèlerinage. Merci à eux ! Le ciné-tourisme (ou set-jetting) est cette pratique qui consiste à choisir la destination de ses vacances en fonction des lieux de tournage des productions audiovisuelles. Et il est en plein essor comme nous le rappellent de multiples études internationales y compris celle plus récente du CNC. Voyons ensemble comment ça se présente pour Star Wars et ce que j’ai pu récolter comme informations au cours de mes voyages ou sur le web.
La Tunisie, exemple d’une ré-appropriation contrastée
Il y a quelques années, à la suite de mon voyage sur l’ensemble des lieux de tournage du sud-tunisien, j’écrivais ce très long article sur le blog de Médiapart faisant à la fois part de ma propre expérience et portant également un regard sur les offres locales de visites qu’Internet pouvait bien proposer, avec un titre évocateur : «Star Wars : un filon insuffisamment exploité du tourisme sud-tunisien ?». Bien qu’elle ait conscience d’avoir marqué l’histoire de la saga, la Tunisie ayant découvert tardivement les films et n’étant à juste titre pas spécialement prompte à promouvoir tout ce qui sort d’Hollywood, ne s’était pas plus que ça plongée dans l’exploitation de retombées de la tendance du ciné-tourisme apparu à la fin du XXème siècle à l’ère d’une culture mondialisée et distribuée par les plateformes en ligne.
Force est de constater que 5 ans après, des investisseurs principalement occidentaux ont flairé le bon filon et se sont mis à décortiquer les moindres recoins des lieux de tournage pour accueillir le fan en besoin de sensations. Et proposer de véritables expériences «all-inclusive».
Les prix élevés sont certes très discutables évidemment mais il convient néanmoins de nommer les offres suivantes : l’américain galaxy tours, et le site canadien star wars tours. C’est très bien fourni et, je peux l’imaginer, c’est aussi très bien documenté, complet et bien organisé de A à Z. J’insiste sur les prix élevés des prestations, il convient de comprendre que l’ensemble des sites étant éparpillés sur l’ensemble du sud tunisien désertique et donc difficile à traverser, les offres sont agrémentées de nombreux autres sites touristiques, y compris liés à Indiana Jones. Dans tous les cas, il faut reconnaître que des guides tunisiens ont été récemment formés et intégrés aux équipes de ces tour-opérateurs, ce qui est évidemment un plus pour le touriste-fan.
A côté de ces groupes occidentaux, existent de plus petites structures de visites davantage détenues par des locaux, également très complètes et pour des tarifs allant jusqu’à…10-15 fois moins cher ! La prestation est évidemment totalement différente, mais vous verrez les mêmes lieux de tournage et en soit, c’est donc très complet. Il semblerait néanmoins que depuis l’arrivée des entreprises nord-américaines, les voyages «Star Wars» soient moins proposés au programme.
Enfin, et c’est peut-être là le plus impactant, il y a toutes ces initiatives locales de marquer la présence de Star Wars par des particuliers ou vendeurs.
La Ville de Tataouine, qui a donné son nom à la planète désertique, mais qui n’a pas abrité de tournage ni en 1976 ni en 1997, surfe toutefois sur la tendance Star Wars. Une habitation en particulier, sur la route qui sort de la ville pour se rendre à Chénini, expose de manière permanente des sculptures métalliques de personnages (et même Yoda qui n’est apparu qu’en 1980 et qui n’a jamais posé le pied sur Tatooine dans la saga).
Bien sûr en Tunisie, certains lieux de tournage sont totalement identifiés comme tels : Ksar Hadada notamment fait l’objet d’une signalétique routière et de la présence de marchands de produits dérivés qui font vivre le site. On retrouve également bon nombre de marchands et même un «star wars café» sur le site des décors conservés (Mos Espa à Nefta) et une déco «Star Wars» très présente sur le site de l’Hôtel Sidi Driss. Quelques œuvres de street-art sont venues décorer plus récemment les sites de Djerba (hutte de Ben Kenobi, la Cantina…).
Autre initiative, cette fois sur le site de l’igloo (aux abords de Nefta toujours), le projet porté par le belge Mark Dermul et d’autres fans du Projet Save The Lars Homestead, qui a consisté en 2011 à récolter des fonds pour rénover le bâtiment qui tombait en désuétude après le tournage de la prélogie. L’igloo, constamment impacté par les effets du désert, est toujours menacé de disparaitre s’il n’est pas entretenu et il est fort à parier que de nouvelles rénovations seront à prévoir dans les prochaines années. Un panneau sur le site rappelle l’initiative salutaire.
Enfin, et c’est certainement le projet de recyclage des décors qui a le plus d’envergure à ce jour, le Festival des Dunes Électroniques se déroule sur le site des décors de Nefta. L’évènement fut créé au milieu des années 2010 par Ali Patrick El Ouarghi et Philippe Chapelet, entrepreneurs hôteliers à Nefta. Des milliers de festivaliers se sont rassemblés lors des diverses éditions autour de la musique électronique et de stands venus s’installer autour des décors de Star Wars : ambiance garantie ! Et les choses ont été faites en grand pour attirer une clientèle également venue d’Europe ! Attention, on commence même à comparer ce festival dans le désert au Burning Man des Etats-Unis ! C’est dire si le phénomène est apprécié et prend de l’ampleur au fil des éditions même si la prochaine date se fait attendre ! Dans tous les cas, c’est une très belle initiative qui permet de mettre en valeur le site de Nefta, de le faire vivre et perdurer dans le temps. Et de mettre également en avant la saga à travers la promotion de l’évènement et l’identité starwarsienne tunisienne !
On peut donc sentir que la Tunisie est en train de prendre conscience du potentiel d’attractivité lié à la saga Star Wars, mais qu’elle est néanmoins fortement tributaire de l’intervention d’occidentaux et des fans venant de l’extérieur qui vouent une sorte de culte aux décors originaux de la planète Tatooine. La Tunisie est déjà un pays fortement touristique qui sait attirer par de multiples excursions, mais aurait également tout intérêt à développer le ciné-tourisme et à toujours mieux mettre en valeur les lieux de la saga.
L’Irlande, ou le tourisme intégré multiscalaire
L’Irlande est un pays touristique reconnu essentiellement pour ses territoires ruraux et une couleur vous vient peut-être en tête lorsqu’on y pense : le vert ! L’activité touristique représente 8 % du PIB soit un peu plus que celui de la France (7,5 %) ! Les paysages marins et côtiers (falaises) sont également souvent présents sur les cartes postales du pays. Et ça tombe bien, ce sont justement ces paysages rocailleux que JJ Abrams et Rian Johnson sont venus chercher pour tourner leurs épisodes 7, 8 et 9.
La planète isolée Ahch-To où s’est exilé Luke Skywalker se dévoile au fil des épisodes de la saga mais c’est l’épisode VIII : les derniers Jedi qui concentre le plus de scènes tournées sur place. Et dans au moins 5 lieux différents : Skellig Michael Island, Brown Head, Ceann Sibéal et Dingle, Loop Head, et enfin plus au nord Malin Head.
Le ministère du tourisme irlandais a carrément mis en ligne un site web pour présenter l’ensemble de ces sites…mais pas que ! Il a traduit le site à l’international, il a multiplié les nombreuses vidéos et articles sur les anecdotes de tournage, sur les acteurs de la saga de nationalité irlandaise, et il était présent sur différents salons internationaux pour promouvoir les lieux de la saga irlandais. Un stand sur la convention Star Wars Celebration de Londres 2016 était même installé ! C’est donc une véritable et massive campagne de promotion territoriale qui s’est faite autour de Star Wars ! Au même titre que les décors naturels d’Irlande du Nord avaient attiré de nombreux fans de la série Game of Thrones (on estime que 1 touriste sur 6 s’était rendu en Irlande du Nord en raison de l’attrait de la série en 2018 !) , c’est ici toute la côté atlantique qui a pu rayonner grâce aux Derniers Jedi. Et ce ne sont pas les locaux qui vont s’en plaindre, bien au contraire car il y a eu des retombées intéressantes sur les territoires.
Sur l’Île de Skellig Michael, inscrite sur la Liste du Patrimoine Mondial UNESCO, il y a d’abord eu quelques interrogations légitimes sur la pertinence d’augmenter le public sur cet espace fragile. Mais les choses se sont plutôt bien organisées et des nouvelles structures d’accueil ont été rénovées au pied de l’île permettant de préserver le caractère sauvage et la biodiversité et donc de limiter et réguler la fréquentation.
Là encore, des tour-opérateurs privés, et ils sont plusieurs ici, se sont emparés du filon et continuent aujourd’hui d’inclure les lieux de tournage dans les circuits proposés, et c’est souvent très bien documenté.
De même, de très nombreux lieux publics et même des bars/pubs aux abords des lieux de tournage s’affichent aux couleurs de la saga et mettent en avant avec fierté les photos avec les acteurs avec les anecdotes de tournage qui vont bien avec et qui ne manquent pas !
Enfin, à Portmagee, dans le port d’attache des navettes fluviales qui partent faire la visite de l’Île de Skellig Michael, un rendez-vous annuel organisé le 04 Mai pour le Star Wars Day rassemble les fans du pays puis est devenu un festival de films de science-fiction sur un weekend.
Anecdote : l’embarcadère pour les navettes jusque l’île fait face à un pub devenu célèbre pour avoir accueilli les acteurs…et Mark Hamill tenter de servir une pinte de bière Guinness ! Le lieu est donc naturellement devenu un point de rendez-vous des fans !
L’idée d’organiser un évènement le 04 Mai en Irlande s’est poursuivi et étendu depuis dans les autres communes ayant accueilli les tournages, notamment à Malin Head reliant ainsi entre elles des villes pourtant éloignées autour de cette même passion.
L’Irlande maitrise donc très bien la folie Star Wars et c’est dû à la fois au temps passé par les acteurs sur place, à la multiplicité des sites et aux bonnes relations avec les habitants durant le tournage des Derniers Jedi.
Dubrovnik, c’est déjà fini et c’est normal
La vieille ville de Dubrovnik en Croatie affiche un patrimoine architectural riche et préservé. Elle s’est découverte il y a quelques années être un excellent lieu de tournage pour les films médiévaux mais c’est surtout une nouvelle fois la série Game of Thrones diffusée à partir de 2011 qui fit resplendir la cité croate sur les écrans du monde entier. Déjà très touristique durant la période estivale, Dubrovnik a été une des premières villes européennes à saisir l’opportunité du ciné-tourisme…ou plutôt à le subir ! En effet, l’afflux de fans de la série d’HBO a obligé les autorités à prendre des mesures en 2019 pour limiter la fréquentation de la ville. Et particulièrement son cœur historique totalement piéton, dans un pays boosté économiquement depuis l’entrée dans l’Union Européenne et la zone euro qui ont facilité les échanges, faisant aussi de ce pays des Balkans une destination en vogue depuis quelques années.
Aussi, quand en 2016 le tournage du prochain Star Wars (Episode VIII) est annoncé ici, on pouvait s’attendre à l’arrivée massive de fans de la saga sur l’Adriatique. Ce ne fut pas vraiment le cas pour plusieurs raisons : le nombre de scènes tournées en extérieur de la cité-casino de Canto-Bight est limité à quelques plans et il y a eu beaucoup de scènes extérieures coupées au montage final. Les plans restants, tournés la nuit, ne sont pas spécialement appréciés par une grande partie de fans qui boudent l’arc narratif qui s’y déroule (course poursuite de Finn et Rose à dos de fathier), et le film fit l’objet de nombreuses critiques scénaristiques à l’époque de sa sortie.
Notons toutefois qu’une initiative privée a proposé des visites guidées d’environ 2 heures (23.50 €/personne) de l’ensemble des lieux de tournage (et même des décors des scènes coupées) et que, même si ces visites avaient lieu tous les jours durant les 3 années qui suivirent la sortie du film, elles perdurent encore aujourd’hui à la demande durant l’été. Rendez-vous sur le site : http://www.starwarsdubrovnik.com/ qui, en plus de proposer les visites, retrace l’historique des articles et photos prises lors du tournage.
Pour l’anecdote, en 2009 George Lucas s’était arrêté dans la vieille ville de Dubrovnik pour y passer quelques jours de vacances pendant la production du film «Red Tails» qui fut tourné en partie en Croatie.
La Jordanie déroule le tapis rouge pour un accueil royal
Le désert du Wadi Rum dans le sud de la Jordanie a accueilli pas moins de deux productions Star Wars d’ampleur : l’épisode final de la saga The Rise of Skywalker (sorti en 2019) pour représenter la planète Pasaana et, quelques années précédentes, en 2016, le tournage des scènes de la planète Jedha dans le premier spin-off Rogue One : a star wars story. Devenu une véritable terre de tournage pour ses paysages incroyables et ce depuis Lawrence d’Arabie (1962), la Jordanie a depuis accueilli de très grosses productions (Indiana Jones la dernière croisade tourné à la cité de Petra sur la Route des Rois, mais aussi Alien Prometheus, Aladdin, Seul sur Mars, X-Men, Transformers, et plus récemment Dune…). La couleur rouge du désert (lié aux oxydes métalliques présents dans le grès) et les massifs rocheux offrent des paysages sans commune mesure sur Terre, faisant effectivement penser à une autre planète.
Le Wadi Rum est protégé (il faut, entre autres, payer un droit d’accès et respecter certaines règles) et les visites y sont très bien encadrées. Les initiatives se sont développées durant la dernière décennie pour y développer un tourisme avec les populations bédouines qui respecte les modes de vies locales. Pas d’hôtel ni de constructions en dur, mais un hébergement uniquement dans des tentes et yourtes rassemblées dans des camps. Et possibilités de nuits à la belle étoile ! L’eau étant une ressource rare, elle y est acheminée par camions-citernes.
Havre de paix au milieu d’une région du monde très instable, j’ai été contraint d’annuler mon voyage en Mars 2024 en raison du terrible conflit entre Israël et les territoires palestiniens, l’aéroport d’Aqaba étant désormais fortement utilisé pour acheminer l’aide internationale à Gaza. Dans un pays où 15 % du PIB est généré par le tourisme, il est à craindre de grosses répercussions économiques sur les populations locales du Wadi Rum.
Néanmoins et avant ces évènements, et particulièrement lors du gros tournage qui a eu lieu pour The Rise of Skywalker en 2018, l’état jordanien à travers la Royal Film Commission a énormément communiqué sur les réseaux sociaux dans une série de vidéos très intéressantes sur le tournage et évidemment sur les lieux touristiques du pays. L’image y est soignée et on peut même y voir le Prince Ali Bin Al Hussein et la famille princière visiter le plateau et rencontrer les acteurs et découvrir les accessoires de décors.
Parmi les quelques camps d’hébergement bédouin, un porte le nom de «Wadi Rum Star Wars Camp». A juste titre et comme expliqué précédemment, il n’y a pas de fioritures rappelant la saga et on reste dans les traditions locales, il n’y a que le nom qui rappelle la saga. Et tant mieux !
Il n’y a pas non plus à proprement parler de «visite Star Wars» proposée dans le secteur, tant le lieu est en soit un spectacle qui émerveille bien davantage que tout le reste. Les lieux exacts du tournage sont donc difficiles à trouver de prime abord tant le désert est vaste, et de toute évidence, il y a fort à parier qu’il y a certainement plus de chance d’apprécier le voyage au Wadi Rum au milieu des bédouins, que celui offert sur Pasaana au milieu des cerfs-volants proposés par l’Episode IX…
De multiples autres exemples existent au travers de la centaine de lieux de tournage de la saga (séries inclues) répartis dans la vingtaine de pays différents recensés. Je reviendrai sur ces autres exemples dans une seconde partie. Selon l’impact des films dans le pays du tournage, les pouvoirs locaux et les acteurs économiques pourront s’organiser différemment pour surfer sur la déferlante. D’aucun sont déjà mieux armés que d’autres, mais c’est surtout l’appropriation par les habitants et les riverains du lieu de tournage qui peut permettre, à leur échelle, des retombées intéressantes.
N’oublions pas non plus les retombées directes pendant le tournage ! Bien souvent, les figurants engagés proviennent des régions où le film est tourné…et on sait qu’un figurant dans un épisode de Star Wars, c’est un personnage qui finit dans une encyclopédie et un futur invité sur un salon où vous faites payer 30 € votre photo dédicacée…alors, si la figuration vous tente, restez attentifs…Qui sait, la saga Star Wars pourrait peut-être un jour être tournée à côté de chez vous !
